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    qui j'ai eu les mêmes bontés que pour vous. Il y en a quatre-vingt-dix-huit bien comptées, que je garde en
    mémoire d'eux. Je vous ai demandé les vôtres pour la même raison et afin d'avoir la centaine accomplie.
     Voilà donc, continua-t-elle, cent amants que j'ai eus jusqu'à ce jour, malgré la vigilance et les soins de ce
    vilain Génie, qui ne me quitte pas. Il a beau m'enfermer dans cette caisse de verre et me tenir cachée au fond
    de la mer, je le trompe autant qu'il me plaît.
     Cet ingénieux apologue, ajouta mon bon maître, vous montre les femmes aussi rusées en Orient, où elles sont
    recluses, que parmi les Européens, où elles sont libres. Si l'une d'elles a formé un projet, il n'est mari, amant
    père, oncle, tuteur, qui en puissent empêcher l'exécution. Vous ne devez donc pas être surpris, mon fils, que
    tromper les soins de ce vieux Mardochée n'ait été qu'un jeu pour cette Jahel qui mêle, en son génie pervers,
    l'adresse de nos guilledines à la perfidie orientale. Je la devine, mon fils, aussi ardente au plaisir qu'avide d'or
    et d'argent, et digne race d'Olibah et d'Aolibah.
     Elle est d'une beauté acide et mordante, dont je sens moi-même quelque peu l'atteinte, bien que l'âge, les
    méditations sublimes et les misères d'une vie agitée aient beaucoup amorti en moi le sentiment des plaisirs
    charnels. A la peine que vous cause le bon succès de son aventure avec M. d'Anquetil, je démêle, mon fils,
    que vous ressentez bien plus vivement que moi la dent acérée du désir, et que vous êtes déchiré de jalousie.
    C'est pourquoi vous blâmez une action, irrégulière à la vérité, et contraire aux vulgaires convenances, mais
    indifférente en soi ou du moins qui n'ajoute rien de considèrable au mal universel. Vous me condamnez au
    dedans de vous, d'y avoir eu part, et vous croyez prendre l'intérêt des moeurs, quand vous ne suivez que le
    mouvement de vos passions. C'est ainsi, mon fils, que nous colorons à nos yeux nos pires instincts. La morale
    humaine n'a pas d'autre origine. Confessez pourtant qu'il eût été dommage de laisser plus longtemps une si
    belle fille à ce vieux lunatique. Concevez que M. d'Anquetil, jeune et beau, est mieux assorti à une si aimable
    personne, et résignez-vous à ce que vous ne pouvez empêcher. Cette sagesse est difficile. Elle le serait plus
    encore si on vous avait pris votre maîtresse. Vous sentiriez alors des dents de fer vous labourer la chair et
    votre esprit s'emplirait d'images odieuses et précises. Cette considération, mon fils, doit adoucir votre
    souffrance présente. Au reste, la vie est pleine de travaux et de douleurs. C'est ce qui nous fait concevoir une
    juste espérance de la béatitude éternelle.
    La rotisserie de la Reine Pedauque 83
    La rotisserie de la Reine Pedauque
    Ainsi parlait mon bon maître, tandis que les ormes de la route royale fuyaient à nos côtés. Je me gardai de lui
    répondre qu'il irritait mes chagrins en voulant les adoucir et qu'il mettait, sans le savoir, le doigt sur la plaie.
    Notre premier relais fut à Juvisy où nous arrivâmes le matin par la pluie. En entrant dans l'auberge de la poste,
    je trouvai Jahel au coin de la cheminée, où cinq ou six poulets tournaient sur trois broches. Elle se chauffait
    les pieds et laissait voir un peu de ses bas de soie, qui étaient pour moi un grand sujet de trouble, par l'idée de
    la jambe que je me représentais exactement avec le grain de la peau, le duvet et toutes sortes de circonstances
    frappantes. M. d'Anquetil était accoudé au dossier de la chaise où elle était assise, la joue dans la main. Il
    l'appelait son âme et sa vie; il lui demandait si elle n'avait pas faim; et, comme elle répondit que oui, il sortit
    pour donner des ordres. Demeuré seul avec l'infidèle, je la regardai dans les yeux, qui reflétaient la flamme du
    foyer.
     Ah! Jahel, m'écriai-je, je suis bien malheureux, vous m'avez trahi et vous ne m'aimez plus.
     Qui vous dit que je ne vous aime plus? répondit-elle en tournant vers moi un regard de velours et de
    flamme.
     Hélas! mademoiselle, il y paraît assez à votre conduite.
     Eh quoi! Jacques, pouvez-vous m'envier le trousseau de toile de Hollande et la vaisselle godronnée que ce
    gentilhomme me doit donner. Je ne vous demande qu'un peu de discrétion jusqu'à l'effet de ses promesses, et
    vous verrez que je suis pour vous telle que j'étais à la Croix-des-Sablons.
     Hélas! Jahel, en attendant, mon rival jouira de vos
    faveurs.
     Je sens, reprit-elle, que ce sera peu de chose, et que rien n'effacera le souvenir que vous m'avez laissé. Ne
    vous tourmentez pas de ces bagatelles; elles n'ont de prix que par l'idée que vous vous en faites.
     Oh! m'écriai-je, l'idée que je m'en fais est affreuse, et je crains de ne pouvoir survivre à votre trahison.
    Elle me regarda avec une sympathie moqueuse et me dit en souriant:
     Croyez-moi, mon ami, nous n'en mourrons ni l'un ni l'autre. Songez, Jacques, qu'il me faut le linge et la [ Pobierz całość w formacie PDF ]

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